De nouvelles perspectives pour mieux comprendre certains mécanismes de la locomotion et du maintien de l'axe dorsal

Recherche Mis en ligne le 2 octobre 2018
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L’équipe de recherche de l’Institut du Cerveau – ICM, dirigée par Claire WYART, chercheur INSERM a publié ce mois-ci deux articles scientifiques ouvrant de nouvelles perspectives vers la compréhension des mécanismes de la locomotion et du développement et de la maintenance de l’axe squelettique dorsal.

IDENTIFICATION DE NEURONES INHIBITEURS DANS LE TRONC CEREBRAL DANS LE CONTRÔLE DE LA LOCOMOTION CHEZ LES VERTEBRES

Le premier article, publié dans la revue scientifique « Scientific Reports » le 11 août 2018, parle de l’identification de neurones inhibiteurs présents dans le tronc cérébral dans le contrôle de la locomotion chez les vertébrés.

L’exploration de l’environnement nécessite des ajustements constants des mouvements, par des informations sensorielles dites « proprioceptives », c’est-à-dire émanant des différentes parties du corps et des informations sensorielles « extéroceptives » provenant de l’extérieur.

La locomotion, le comportement qui permet le déplacement d’un être vivant dans son environnement, repose sur le recrutement de circuits de neurones moteurs dans la moelle épinière, commandés par des neurones situés dans le tronc cérébral. L’organisation spatiale de ces circuits moteurs du tronc cérébral reste aujourd’hui largement méconnue.

Le poisson-zèbre est un organisme transparent aux stades larvaires où l’animal se propulse dans son milieu et constitue donc un excellent modèle pour les études d’optogénétique, domaine de recherche qui permet d’activer ou d’inhiber un type de neurone spécifique, sans influencer les autres en combinant le génie génétique et l’optique.
Kristen Severi et Urs Böhm de l’équipe de Claire WYART ont tiré profit de l’accessibilité génétique et de la transparence de ces larves pour mener une étude qui révèle le rôle des neurones inhibiteurs du tronc cérébral dans la locomotion.
Afin de n’étudier que l’activité et le contrôle des neurones moteurs impliqués dans la locomotion, l’équipe a travaillé dans un environnement restreignant la nage des larves. L’activité des neurones a été imagée avec un microscope biphotonique, permettant d’observer les cellules en profondeur sous la surface de la peau dans un animal vivant.
Afin d’étudier un comportement moteur chez Le poisson zèbre celui-ci est placé devant un écran qui présente des bandes glissantes, phénomène déclenchant une nage dirigée grâce à un réflexe optomoteur.
En combinant l’imagerie calcique, marqueur d’activation des neurones, de milliers de neurones du tronc cérébral, ces travaux ont permis de mettre en évidence et de localiser un type de neurone uniquement recrutés pendant la locomotion. En particulier, une population de neurones inhibiteurs caractérisés par l’expression du facteur de transcription engrailed 1b, est recrutée lors de la locomotion. Ce résultat ouvre de nombreuses perspectives sur le rôle possible de l’inhibition dans les zones de commandes motrices du tronc cérébral.

Les conclusions des travaux de l’équipe de Claire WYART offrent à la communauté scientifique de nouvelles informations sur la localisation et le rôle de certains sous-groupes de neurones impliqués dans la locomotion des vertébrés et ouvrent de nouvelles voies de recherche vers l’identification des mécanismes de contrôle du mouvement.

 

LIQUIDE CEREBROSPINAL, NEURONES SENSIBLES AUX DEFORMATIONS MECANIQUES ET ANOMALIES DE DEVELOPPEMENT DE L’AXE SQUELETTIQUE DORSAL

Le deuxième publication date du 18 septembre 2018 dans la revue scientifique « Nature Communications« .
Le liquide cérébrospinal (LCS) est un liquide qui circule dans les ventricules du cerveau et le canal central de la moelle épinière. Il joue un rôle de protection contre les chocs et infections, et permet aussi l’évacuation des déchets du système nerveux central. Le rôle du LCS n’est encore pas totalement élucidé mais semble pourtant crucial à un développement normal des vertébrés.

Une des caractéristiques de la surface des cavités cérébrales et du canal central de la moelle épinière est la présence de cils, qui par leur mobilité permettent la circulation du LCS. Des perturbations de ce flux pourrait contribuer à l’apparition de scolioses idiopathiques, c’est-à-dire dont on ne connait aujourd’hui pas l’origine.
Afin de comprendre comment les propriétés mécaniques et biochimiques du LCS peuvent influencer la morphogénèse, il faut d’abord déterminer comment circule le LCS dans la moelle épinière et comment ses propriétés mécaniques et biochimiques sont détectées par les cellules bordant le canal central. Il a été montré chez plusieurs espèces de vertébrés, l’existence de neurones particuliers, les neurones qui contactent le LCS (CSF-contacting neurons) qui bordent les cavités du canal central.
Ces neurones possèdent à leur extrémité une extension en contact avec le canal central et sont caractérisés par l’expression transitoire de la protéine Pkd2l1. Il a de plus été montré que la molécule Pkd2l1 rendait ces neurones sensibles aux variations d’acidité du LCS et à la courbure de la moelle épinière pendant la locomotion.
Jenna R. STERNBERG, doctorante avec ses collègues postdoctorants Andy Prendergast, Yasmine-Cantaut Bélarif, Olivier Thouvenin, Adeline Orts Del’Immagine de l’équipe de Claire WYART s’est interrogée sur la capacité de ces neurones à influer sur les anomalies mécaniques ou sur la circulation du LCS.
Ils ont, dans un premier temps montré l’existence d’une circulation bidirectionnelle du LCS le long d’un axe allant de l’avant vers l’arrière dans le canal central de larves de poissons zèbres.
Puis, grâce à un modèle de larves chez lesquelles la molécule PkD2l1 est absente, entrainant une réduction de l’activité motile des cils et une courbure de l’axe squelettique dorsal, ils ont d’autre part mis en évidence un ralentissement du flux de LCS ainsi qu’une disparition de l’activité spontanée des neurones de contact avec le LCS.
Des études in vitro des neurones contacteurs des larves mutantes ont permis de déterminer une inactivation de ces neurones suite à une stimulation mécanique.

Ces travaux permettent de conclure que la protéine canal Pkd2l1, exprimée par les neurones en contact avec le LCS est nécessaire chez l’adulte pour conserver une colonne vertébrale droite. Ces résultats révèlent l’existence d’un mécanisme de mécanoception, c’est à dire une sensibilité de ces neurones aux déformations de l’axe dorsal et ouvrent ainsi de nouvelles voies de recherche vers l’identification des causes des malformations de la colonne vertébrale, comme les scolioses idiopathiques.

Sources :

1 – Severi KE, Böhm UL, Wyart C. Investigation of hindbrain activity during active locomotion reveals inhibitory neurons involved in sensorimotor processing. Sci Rep. 2018 Sep 11;8(1):13615. doi: 10.1038/s41598-018-31968-4. PubMed PMID: 30206288; PubMed Central PMCID: PMC6134141.

2 – Sternberg JR, Prendergast AE, Brosse L, Cantaut-Belarif Y, Thouvenin O, Orts-Del’Immagine A(, Castillo L, Djenoune L, Kurisu S, McDearmid JR, Bardet PL, Boccara C, Okamoto H, Delmas P, Wyart C. Pkd2l1 is required for mechanoception in cerebrospinal fluid-contacting neurons
and maintenance of spine curvature. Nat Commun. 2018 Sep 18;9(1):3804. doi: 10.1038/s41467-018-06225-x.