Confinement et démences : n’oublions pas les patients et les aidants

Recherche Mis en ligne le 9 juin 2020
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La pandémie de Covid-19, le confinement et les mesures sanitaires mises en place ont bouleversé la vie de chacun d’entre nous. La neurologue et chercheuse Lara Migliaccio (Inserm) de l’équipe Frontlab à l’Institut du Cerveau, alerte sur la situation des patients atteints de démences et de leurs aidants pendant cette crise sanitaire.

 

 

Lara Migliaccio

Quelle est la situation des patients atteints de démence et de leurs aidants aujourd’hui ?

 

Les démences affectent aujourd’hui plus de 50 millions de personnes dans le monde. Les altérations cognitives et comportementales qui les accompagnent détériorent gravement la qualité de vie et l’autonomie des patients mais aussi de leurs aidants. Cette vulnérabilité et cette dépendance des personnes atteintes par une démence comme la maladie d’Alzheimer ou une dégénérescence fronto-temporale, déjà grandes en temps normal, n’ont fait qu’empirer avec la pandémie de Covid-19 et le confinement qui l’a accompagné. Le suivi de nos patients pendant cette période a soulevé de nouvelles questions, de nouvelles problématiques. Le couple patient-aidant est la clé de voûte d’un système incluant le neurologue et les autres soignants, orthophoniste, infirmier, kinésithérapeute, le personnel des ESA (équipe spécialisée Alzheimer) mais aussi les aides à domicile… Avec le confinement, tout cela s’est effondré. Il n’est resté que l’individu avec sa maladie, et son aidant, souvent du même âge, face à des journées très difficiles à gérer. Nous devons apprendre de cette situation pour le bien de ces personnes.

 

Qu’est-ce que la pandémie et le confinement ont changé dans le quotidien des patients et leurs aidants ?

 

Pour les patients les plus amnésiques, le « coronavirus », « Covid » est juste un mot dit comme ça. Idem pour les gestes barrières. La situation était très difficile pour les aidants, de devoir rappeler tout le temps aux patients pourquoi ils ne devaient pas sortir, pourquoi ils doivent se laver les mains régulièrement, pourquoi ils devaient porter un masque… Même pour les patients moins amnésiques d’ailleurs, le rappel en continu des gestes barrières, de la nécessité de rester confiné a représenté une vraie difficulté. Cela a été encore plus dramatique pour les patients avec des troubles comportementaux. L’aidant se retrouve en première ligne, non seulement pour répéter les consignes de sécurité mais aussi faire face au refus et à l’incompréhension de son proche malade, dont les réactions peuvent être inattendues.

Si la majorité s’est finalement bien sortie de cette crise, montrant une capacité de résistance insoupçonnée, beaucoup de patients plus atteints se sont effondrés sous le poids de la situation. Il y a clairement eu un coût payé par le fait d’être isolé pour ces patients.

 

Les aidants sont souvent les oubliés de la chaîne de soin, alors que leur rôle s’est trouvé accru pendant cette crise…

 

Les aidants ont été très peu considérés dans tout ça. Les mesures recommandées par les plus grandes associations mondiales sur les démences sont toutes centrées sur le malade. Nulle part ou presque ne sont mentionnés les aidants. Le confinement a aussi fait oublier à ses aidants leur propre santé, submergés par un quotidien difficile avec leur proche malade. Il a fallu leur rappeler que le Covid-19 et leur proche n’étaient pas la seule source de préoccupation et qu’ils devaient rester attentif à leur santé et aux pathologies qui pouvaient déjà les affecter avant le confinement.

 

Comment se passe le suivi côté soignant ?

 

Je n’ai jamais arrêté d’être en contact avec mes patients pendant le confinement, soit par téléphone, soit en visioconférence, mais malheureusement toutes les spécialités en médecine ne peuvent pas faire profit d’un appel téléphonique. Bien sûr, nous ne pouvons pas tout faire par télémédecine mais ce suivi reste essentiel. Ce confinement a permis d’avoir un regard différent sur nos pratiques. Nous faisons beaucoup de choses en présentiel que nous pourrions faire à distance. Si certains suivis peuvent se faire par télémédecine, nous réduirions ainsi les transports, la pollution, le risque d’attraper une infection dans un milieu hospitalier, le risque d’accident de la route… cette expérience est vraiment à mettre à profit. J’ai recommencé à voir des patients en présentiel. Ce n’est pas simple, les procédures sont compliquées, chronophages… mais c’est possible. Nous apprenons des nouveaux gestes, qui finalement deviennent vite naturels.

 

Du côté de la recherche, les protocoles de recherche clinique, mis à part les protocoles thérapeutiques testant des traitements, ont été arrêtés au début de confinement. Ils reprennent progressivement depuis quelques semaines. Nous avons des enjeux sanitaires autres que le Covid-19 qui dépendent beaucoup de l’avancement de la recherche, des enjeux sur la connaissance des maladies, notamment neurologiques. Ce sont des maladies qui vulnérabilisent les patients. Les patients des EPHAD, dont nombres d’entre eux sont touchés par une démence, ont payé un coût énorme pendant cette pandémie. Si nous n’avançons pas et nous laissons bloquer par un virus, ça sera dramatique pour ces individus.