Une hypothèse prometteuse sur les déficits cognitifs dans la trisomie 21

Recherche Mis en ligne le 28 décembre 2017
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Une publication des équipes de Marie-Claude Potier et d’Alberto Bacci à l’Institut du Cerveau – ICM se penche sur le rôle d’un neurotransmetteur particulier, GABA, sur les déficiences intellectuelles dans la trisomie 21. Marie Claude Potier nous en dit plus sur ce projet et sur les perspectives en recherche clinique et fondamentale.

Pouvez-vous revenir brièvement sur la trisomie 21 en particulier sur les déficiences intellectuelles ?

La trisomie 21 ou syndrome de Down est la première cause génétique de déficience intellectuelle. Elle est due à une anomalie génétique caractérisée par la présence de tout ou partie d’un exemplaire supplémentaire du chromosome 21. Elle se traduit également par des anomalies physiques et cognitives variables selon les individus. La présence d’un chromosome 21 surnuméraire induit également la surexpression de certains gènes avec des conséquences diverses pour les individus.

A quoi sont dues les déficiences intellectuelles ?

L’activité du cerveau résulte d’un équilibre entre l’activité excitatrice et inhibitrice des neurones qui impliquent différentes molécules pour transmettre l’information d’un neurone à l’autre. L’activité inhibitrice est principalement gérée par un neurotransmetteur appelé GABA (pour gamma-aminobutyric acid). Les troubles de la mémoire et de l’apprentissage liés à la déficience intellectuelle observée dans la trisomie 21 pourraient être le résultat d’une perturbation de cet équilibre, ce qui aurait des effets importants sur les circuits neuronaux du cerveau des personnes atteintes du syndrome de Down.

Comment pourrait-on y remédier ?

L’article que nous venons de publier, avec Javier Zorilla de San Martin, Jean-Maurice Delabar et Alberto Bacci, était l’occasion de faire le point sur les connaissances concernant la transmission GABAergique dans la trisomie 21. C’est la première étape d’un projet plus large entre mon équipe et celle d’Alberto Bacci. Un projet qui a d’ailleurs été soutenu par deux fois dans le cadre du programme Big Brain Theory de l’Institut du Cerveau – ICM et qui combine plusieurs de nos expertises sur la trisomie et en physiologie.

En 2011, nous avions montré, pour la première fois, qu’une molécule bloquant l’effet du GABA améliorait les déficits cognitifs dans des modèles souris de trisomie 21. Notre hypothèse était que l’activité inhibitrice était trop importante et que et si nous arrivions à lever cette inhibition, certaines synapses, zone de contact entre deux neurones, impliquées dans les fonctions cognitives pourraient récupérer une activité quasi-normale. Suite à cette découverte des études cliniques ont été mises en place, mais n’ont pas abouti. Les difficultés pour évaluer les déficits intellectuels dans la trisomie 21, les disparités entre les différents centres impliqués et la différence de prise en charge des personnes atteintes de trisomie 21 entre pays pourraient être des raisons de l’échec de ces essais.

Mais nous sommes convaincus que les effets observés chez la souris sont intéressants. Dès qu’un effet pharmacologique est observé, nous avons tendance à mettre en place des essais cliniques au plus vite sans avoir vraiment compris les mécanismes. Il est aussi nécessaire de revenir aux fondamentaux, comprendre la physiologie et comprendre pourquoi l’activité des neurones est différente dans la trisomie 21.

Où en sont les recherches ?

Nous savons qu’il se passe quelque chose au niveau de la transmission GABAergique dans la trisomie 21. Mais à quel niveau ? Que se passe-t-il exactement ? Plusieurs hypothèses coexistent. Y a-t-il plus de GABA au niveau de la synapse ? Le nombre de récepteurs au GABA est-il différent dans la trisomie 21 ? Ces récepteurs au GABA sont-ils mal localisés au niveau de la synapse ?

Par exemple, la quantité d’ions chlorure, qui participent à la transmission synaptique, serait plus importante au niveau des neurones dans la trisomie 21. Pourquoi ? Et quelles sont les implications ?

On sait également que la taille de la synapse est augmentée dans la trisomie 21, ce qui va avoir un effet sur la concentration de neurotransmetteurs et donc sur la transmission nerveuse. Il reste encore à décrire précisément toutes les conséquences que cela peut avoir.

Quelles sont les perspectives en recherche clinique ou fondamentale sur ce sujet ?

Actuellement nous avons une vue d’ensemble en fonction des zones, l’hippocampe, le cortex… mais qui n’est pas spécifique de certains réseaux de neurones. Certaines synapses sont importantes pour l’apprentissage et la mémoire, donc nous voulons voir ce qui se passe en les désinhibant spécifiquement, c’est le projet que nous développons avec Alberto Bacci et Javier Zorrilla de San Martin, post-doctorant entre nos deux équipes. Nous souhaitons observer les implications sur les réseaux, sur leur activité. L’idée est aussi d’utiliser des outils pharmacogénétiques plus spécifiques, plutôt que des molécules dont l’effet peut-être moins précis, pour étudier ces réseaux de neurones.

Dans le contexte de la trisomie 21, à quoi ressemblent les réseaux de neurones ? Certaines synapses sont-elles inactives ou non matures ? Les réseaux sont-ils construits différemment ? Agir sur ces synapses en particulier va-t-il restructurer le réseau ?

Et cela va au-delà de la trisomie 21. Une perturbation de la balance excitation-inhibition de l’activité de neurones est retrouvée dans d’autres déficits intellectuels et aussi dans certaines maladies neurodégénératives comme la maladie de Huntington.

Un autre aspect sur lequel il y a encore beaucoup à faire est l’étude des gènes du chromosome 21. Dans le cas des déficiences intellectuelles, le gène DYRK1, est un candidat très sérieux. Des personnes avec une trisomie 21 partielle, avec la portion de chromosome 21 contenant le gène DYRK1, présentent un déficit intellectuel alors que celles qui ne l’ont pas ne présentent pas forcément un déficit intellectuel ou en tout cas dans une mesure moindre. Une précédente étude à laquelle nous avions participé avait montré qu’agir sur DRYK1 grâce à une molécule issue du thé vert améliorait les capacités intellectuelles des personnes porteuses de trisomie 21. Il faut poursuivre ces efforts pour analyser les (nombreux) gènes présents sur le chromosome 21 et comprendre leur importance.

Référence : GABAergic over-inhibition, a promising hypothesis for cognitive deficits in Down syndrome. Zorrilla De San Martin J, Delabar JM, Bacci A, Potier MC. Free Radic Biol Med. 2017 Oct 6.