L'émergence de l'individualité comportementale dans le cerveau de la mouche : un principe général pour l'origine neuro-développementale d'un aspect de la personnalité ?

Recherche Mis en ligne le 20 mars 2020
Flies with left-right asymmetry in the wiring of a specific neuronal circuit tend to walk more straight and narrow paths towards an object of interest, while flies with more symmetric brains tend to walk border and more meandering paths toward the object.

Flies with left-right asymmetry in the wiring of a specific neuronal circuit tend to walk more straight and narrow paths towards an object of interest, while flies with more symmetric brains tend to walk border and more meandering paths toward the object.

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D’où vient notre individualité ? Qu’est-ce qui nous rend uniques dans notre comportement ? Tout cela pourrait-il se trouver dans notre cerveau ? Bassem Hassan et son équipe à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (Inserm/CNRS/Sorbonne Université/AP-HP) ont découvert un mécanisme aléatoire de formation de circuits neuronaux dans le cerveau de la mouche du vinaigre (drosophila melanogaster) à l’origine d’un comportement individuel. Ces résultats, publiés dans la revue Science, pourrait représenter un principe général de la façon dont certains aspects de l’individualité émergent dans le cerveau.

 

L’idée que les circuits du cerveau régulent le comportement est une notion qui peut sembler assez évidente. Si un circuit est différent d’un individu à l’autre, alors il pourrait influencer son comportement individuel, et cela pourrait expliquer une partie de l’idiosyncrasie comportementale présente dans la population. Mais comment démontrer cette idée dans un cadre expérimental ?

 

« Le premier problème auquel nous avons dû faire face était de trouver un comportement qui corresponde au câblage des neurones », explique Bassem Hassan. « La découverte s’est faite lorsqu’un de mes collègues, Andrew Straw, m’a contacté pour me dire qu’en étudiant un comportement particulier chez la drosophile, il avait découvert que le circuit spécifique que nous étudiions régulait ce comportement. C’est alors que l’aventure a vraiment commencé » explique Bassem Hassan

 

Bassem Hassan et son équipe travaillent depuis plusieurs années sur ce circuit spécifique du cerveau, un circuit du système visuel appelé Dorsal Cluster Neurons (DCN). Ils ont identifié une variabilité anatomique et développementale stochastique dans ce système, ce qui signifie que le cerveau d’une mouche se développe légèrement différemment du cerveau d’une autre et qu’une fois le développement terminé, ce schéma est stable tout au long de la vie de la mouche.

 

Mais qu’en est-il du comportement ? Est-il aussi stable et unique que ce circuit ? Pour approfondir cette question, l’équipe a testé ce comportement chez les mouches pendant plusieurs semaines et a montré qu’il restait constant chez une mouche donnée mais différait d’une mouche à l’autre. De plus, à chaque génération, la variabilité du comportement était remise à zéro, suggérant que l’individualité comportementale était davantage le résultat du développement unique de chaque cerveau que du génome spécifique de chaque individu.

 

« Maintenant que nous avions le comportement et le circuit, tous deux uniques à une mouche donnée et stables dans le temps, quel est le lien entre les deux ? »

Pour répondre à cette question, ils ont mené une série d’expériences, sous la direction du Dr Gerit Linneweber, premier auteur de l’étude, en étroite collaboration avec l’équipe de Peter Robin Hiesinger à Berlin. En modifiant l’organisation du circuit dans le cerveau des mouches et en inhibant les DCN, une expertise acquise en travaillant pendant plus de 10 ans sur ce circuit, ils ont montré que la corrélation anatomique le plus fort s’établissait entre l’asymétrie gauche-droite du câblage d’une zone spécifique du cerveau de la mouche et le comportement qui consistait à prendre un chemin étroit ou large pour atteindre un objet. Ils démontrent également un lien de causalité entre le circuit et le comportement. Le remodelage du câblage du circuit modifie directement le comportement des mouches tout en maintenant la corrélation entre le circuit et le comportement individuel des mouches. Ces résultats établissent ainsi que la façon dont le circuit se développe sous-tend de façon causale, dans une certaine mesure, le comportement de l’animal.

« L’idée qu’il y a quelque chose d’inné dans certains aspects de l’idiosyncrasie, que nous appellerions « personnalité » en psychologie humaine, et qu’elle trouve son origine dans le cerveau, est une idée très ancienne. Pour la première fois, nous pouvons identifier une origine cérébrale clairement définie pour un paramètre de ce que nous pourrions appeler la personnalité d’un animal. Le fait qu’il soit dû à des mécanismes de développement qui ne peuvent être prédits ni par le seul environnement ni par le seul génome mais par le phénomène du bruit stochastique développemental est très excitant. Nous avons la chance de pouvoir commencer à résoudre deux mystères en même temps.

Faire cette recherche très fondamentale pendant longtemps, qui n’avait pas d’autre but évident que de comprendre comment le cerveau se développe, et être capable de montrer qu’en adoptant ces approches et en construisant lentement une base de connaissances sur une certaine question qui vous intéresse simplement par curiosité scientifique, est extrêmement satisfaisant et une véritable récompense pour les efforts de tant de personnes dans l’équipe » conclut Bassem Hassan


*Bassem Hassan est directeur scientifique et chef d’équipe à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, Allen Distinguished Investigator et « Einstein Visiting Fellow » de l’Institut de la Santé de l’Université libre de Berlin.

 

 

Source

A neurodevelopmental origin of behavioral individuality in the Drosophila visual system.Linneweber GA et al, Science. March 2020.