On peut encore comprendre les autres même si on ne se souvient plus de rien !

Recherche Mis en ligne le 11 mars 2016
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BRAiN’US est né à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière. Cette application mobile, portée par Jean Daunizeau, Chargé de recherche Inserm et co-directeur de l’équipe « Motivation, Cerveau, Comportement » à l’Institut du Cerveau – ICM, avait pour ambition de recueillir des connaissances sur la manière dont le cerveau fonctionne. Un an plus tard, nous faisons le point sur cet ambitieux projet de science participative.

Une application, 8 jeux, 30 000 participants, une expérience scientifique unique orchestrée par Jean Daunizeau. Les données recueillies, anonymisées et confidentielles, ont été analysées grâce à des modèles mathématiques. En exclusivité, Jean Daunizeau, chercheur à l’Institut du Cerveau – ICM, nous livre les premiers résultats où il est question de théorie de l’esprit, de fonctions cognitives et de liens entre les deux.

Qu’est-ce que la théorie de l’esprit ?

C’est la capacité qui nous permet de nous représenter les états mentaux des autres : ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils veulent, ce qu’ils aiment…. Cette fonction cognitive joue un rôle majeur dans nos interactions sociales.

Grâce à elle, nous pouvons attribuer aux autres des intentions, des croyances, des désirs ou des représentations mentales. L’apprentissage de cette capacité passe, entre autres, par la compréhension qu’autrui possède des états mentaux et une représentation du monde qui diffère des nôtres. Cette aptitude nous permet d’entrer en relation avec les autres, de communiquer, de mieux gérer les conflits, de collaborer mais aussi de comprendre les métaphores ou les plaisanteries.

Pour faire cela, nous utilisons toutes sortes d’informations que l’on appelle des signaux sociaux, comme la direction du regard, l’expression faciale, la posture corporelle, le langage, le comportement explicite (langage, gestes…)… Nous intégrons tous ces signaux pour nous faire une représentation interne des états mentaux des autres dans le but de pouvoir prédire leur comportement.

Quels sont les mécanismes qui interviennent dans la théorie de l’esprit ?

Deux classes de mécanismes pourraient intervenir dans la théorie de l’esprit.

La première classe est implicite, automatique, rapide, efficace et probablement négligente. Elle s’apparente à l’instinct. C’est par exemple la capacité automatique à lire les émotions sur le visage de quelqu’un sans y penser, c’est la compréhension « intuitive » que nous avons des autres.

La deuxième classe de mécanismes, les mécanismes explicites, correspondent, eux, à l’analyse consciente et contrôlée des états mentaux des autres. Ce type de délibération interne nécessite l’intervention des « fonctions exécutives », et plus particulièrement :
– la « mémoire de travail », dont le contenu forme les pensées conscientes, stocke (à court terme) les informations nécessaires au raisonnement explicite. Sa capacité est limitée, et cette limite varie d’un individu à l’autre.
– Le « contrôle inhibitif » est notre capacité à interrompre une pensée ou une action en cours de préparation et/ou d’exécution Entre autres, elle nous permet d’écarter de notre attention toutes les informations qui ne sont pas pertinentes pour le raisonnement en cours.

Les fonctions exécutives rendent possibles un traitement de l’information explicite, contrôlé, plus lent mais plus flexible. Comme la plupart des processus cognitifs, la théorie de l’esprit pourrait donc être décomposée en processus implicites et explicites. Ces deux mécanismes peuvent entrer en compétition l’un avec l’autre et contribuer de manière distincte à notre capacité à comprendre les états mentaux des autres.

Quelles sont les premières questions auxquelles vous avez répondu avec BRAIN’US ?

Dans un premier temps, grâce à ces jeux, nous avons étudié les mécanismes de la théorie de l’esprit et certaines des fonctions exécutives qui lui sont associées. Plus précisément, nous avons cherché à comprendre à quel point les capacités cognitives générales telles que la mémoire de travail ou le contrôle inhibitif contribuent aux performances dans les tâches de théorie de l’esprit. L’idée est que la contribution des fonctions exécutives pourrait varier fortement avec l’âge, à mesure que le temps et l’expérience fait de chacun de nous un « expert » en théorie de l’esprit.

Comment avez-vous abordé ces questions ?

Dans un premier temps, nous avons étudié la contribution des fonctions exécutives en fonction de l’âge de la personne. Les participants, de 5 à 90 ans, ont été répartis par tranche d’âge de 5 ans et nous avons calculé leur performance moyenne à deux tests de théorie de l’esprit et deux tests de fonctions exécutives, mémoire de travail et contrôle inhibitif puis nous avons analysé les performances en fonction du temps.

Quels sont les résultats ?

Toutes les performances présentent une allure générale similaire. Au cours du développement, c’est-à-dire de 5 à 20 ans, la réussite aux tests s’améliore avec l’âge: les gens fonctionnent de mieux en mieux ! La performance reste à peu près stable de 20 à 40 ans, puis elle décline de 40 à 90 ans (on parle de « déclin cognitif »). Grossièrement, cette dynamique de performance aux tests est alignée sur la dynamique de maturation et de dégénérescence du cortex préfrontal, siège des fonctions exécutives.

Ce qui est intéressant c’est que les performances pour les fonctions exécutives déclinent plus rapidement que les performances pour les tests de théorie de l’esprit.

Il y a donc un découplage tardif entre fonctions exécutives et théorie de l’esprit. Il est fort possible que la construction de la théorie de l’esprit soit contingente au développement des fonctions exécutives. En bref, les jeunes adultes seraient meilleurs que les enfants en théorie de l’esprit parce qu’ils ont une meilleure mémoire de travail et un meilleur contrôle inhibitif. Cela dit, la perte progressive des fonctions exécutives lors du vieillissement n’implique pas une perte aussi importante de théorie de l’esprit. Il est possible que certains processus implicites, automatiques et spécialisés se soient mis en place et puissent partiellement compenser le déclin des fonctions exécutives. Autrement dit, il semble que notre compréhension des autres soit un îlot de jeunesse au cœur de l’érosion intellectuelle qui signe le poids des ans !

En résumé…

La capacité qui nous permet de comprendre les intentions et les émotions des autres, appelée théorie de l’esprit, est constituée de deux composantes, l’une étant automatique ou implicite, l’autre étant contrôlée ou explicite. Cette dernière a elle-même des sous-composantes, les fonctions exécutives, comme la mémoire de travail et le contrôle inhibitif. La question qui se pose est de savoir si la contribution de ces sous-composantes à la théorie de l’esprit varie avec l’âge. Pour étudier cela, les chercheurs ont analysé si la performance à différents tests variait avec l’âge. Ils observent un alignement parfait entre les performances en théorie de l’esprit et en fonctions exécutives lors du développement, de 5 à 20 ans, et une dé-corrélation à partir de 40 ans, début du déclin cognitif. La perte des composantes exécutives pourrait donc être compensée par des mécanismes automatiques qui maintiennent la performance en théorie de l’esprit à un âge plus avancé.

 

Pour en savoir plus sur les jeux de BRAiN’US, retrouver ci dessous les explications de Jean Daunizeau et Marie Devaine.

3 trains de retard

Ce test vise à évaluer votre « mémoire de travail », c’est-à-dire la mémoire utile pour résoudre des tâches simples comme retenir un numéro de téléphone le temps de le composer

Tapette à mouche

Ce test vise à évaluer votre capacité à interrompre une action préparée à l’avance ou en cours d’exécution.

Les deux font la paire

Ce test vise à évaluer la flexibilité avec laquelle vous vous adaptez à des changements d’objectifs ou de stratégie

Une poule difficile

Il s’agit d’un test d’apprentissage « par essai-erreur ». Le test vise à évaluer votre capacité à identifier l’action qui génère la meilleure récompense

Emilie et les donuts

Si vous faites la différence entre ce que vous savez et ce que les autres savent, ce test ne vous posera aucun problème.

Triangles au box-office

Ce test vise à évaluer votre capacité à reconnaître les intentions et les émotions des autres à partir de leur comportement (nous remercions sincèrement le Pr. U. Frith pour son aide lors du développement de ce jeu).

L’heure du rendez-vous

Il s’agit d’un test de « raisonnement stratégique ». Le test vise à évaluer votre capacité à anticiper le comportement des autres lorsque ceux-ci cherchent, eux aussi, à anticiper votre propre comportement. Ce jeu se joue à plusieurs (par groupes de 100 joueurs).

Cache-cache

Il s’agit d’un jeu compétitif engageant la plupart des compétences cognitives évaluées dans les autres jeux.
Note: ce jeu se joue à 2 (contre un autre participant connecté en même temps que vous).