Des troubles cognitifs précoces chez des sujets à risque de développer une DFT/SLA

Recherche Mis en ligne le 28 février 2020
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Des chercheurs et des cliniciens de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (Inserm / CNRS / Sorbonne Université) à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) mettent en évidence une altération des capacités d’inhibition cognitive chez des individus asymptomatiques risquant de développer une dégénérescence fronto-temporale (DFT) ou une sclérose latérale amyotrophique (SLA), car porteurs d’une mutation génétique spécifique. Les résultats sont publiés dans Journal of Neurology, Neurosurgery, and Psychiatry.

 

Les dégénérescences fronto-temporales (DFT) et la sclérose latérale amyotrophique (SLA) sont des maladies neurodégénératives pouvant avoir une cause génétique commune, dont la plus fréquente est une mutation du gène c9orf72. Il n’existe à l’heure actuelle pas de traitement pour ces pathologies. Comprendre comment celles-ci se développent et identifier des signes avant-coureurs représente un enjeu crucial pour évaluer de nouvelles thérapies et identifier la meilleure fenêtre d’intervention thérapeutique.

 

Dans ce but, la cohorte PREVDEMALS, conduite par le Dr Isabelle Le Ber (AP-HP et Institut du Cerveau – ICM) à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), suit 80 personnes asymptomatiques à risque important (50%) d’être porteuses de la mutation c9orf72, donc de développer une DFT ou une SLA dans quelques années. L’objectif est d’étudier le stade pré-symptomatique de ces maladies, avant l’apparition des premiers symptômes cliniques et d’identifier des marqueurs précoces du début du processus pathologique pour traiter le plus précocement possible.

 

Une capacité particulièrement affectée chez les patients atteints de dégénérescences fronto-temporales est l’inhibition cognitive et comportementale, une faculté nous permettant de ne pas répondre à tous les stimuli auxquels nous sommes sujets au quotidien et réprimer des comportements inadaptés aux différentes situations auxquelles nous faisons face. Elle est indispensable dans nos activités de tous les jours, nos interactions sociales ou encore au contrôle de nos émotions.

 

Dans la présente étude, fruit d’une collaboration entre les équipes d’Isabelle Le Ber (AP-HP/Institut du Cerveau – ICM) et de Lara Migliaccio (Inserm) à l’Institut du Cerveau – ICM, les chercheurs et cliniciens ont cherché à voir si des signes précoces d’altération de l’inhibition cognitive étaient présents chez les sujets de la cohorte PREVDEMALS.

 

Pour cela, ils ont fait passer à 38 sujets non symptomatiques mais porteurs de la mutation c9orf72 et 22 individus non-porteurs, le test d’inhibition cognitive de Hayling. Celui-ci comporte deux parties : dans la première, l’objectif est de répondre le plus rapidement possible à des associations de mots évidentes, pour la phrase « Paris est la plus belle ville du … », il faudrait par exemple la compléter avec le mot « monde ». Dans la deuxième partie du test, c’est l’inverse. Au lieu de répondre avec le mot le plus évident, il faut exercer une forme de contrôle pour donner une réponse qui n’a rien à voir, par exemple « immeuble » ou « arbre ».

 

Deux paramètres sont sensibles à un défaut d’inhibition : le temps de réponse, qui s’allonge avec un défaut d’inhibition, et le taux d’erreurs. Les résultats montrentdes anomalies dans ces deux paramètres chez les porteurs de la mutation et en particulier chez les sujets plus âgés (>40 ans).

 

« Les performances à ce test étaient capables de prédire la proximité de la conversion clinique (début des symptômes cliniques) par rapport à un âge théorique calculé à partir de l’âge d’apparition des symptômes cliniques chez les personnes touchées dans la famille des sujets de l’étude. » explique Maxime Montembeault, premier auteur de l’étude (actuellement post-doctorant au Memory and Aging Center, University California San Francisco).

 

Un examen complémentaire d’imagerie cérébrale montre que les scores de ces tests corrélaient avec certaines régions du cervelet, démontrant le rôle que cette structure cérébrale exerce dans le contrôle cognitif alors que cette faculté était considérée comme strictement dépendante du cortex frontal.

 

« Nous montrons ici que l’évaluation de l’inhibition cognitive constitue un marqueur très intéressant pour détecter des anomalies très précocement chez ces personnes à risque de développer une pathologie neurodégénérative. Cette évaluation de l’inhibition cognitive pourrait être essentielle pour stratifier les patientsmais aussi les porteurs asymptomatiques de la mutation pour pouvoir mettre en place des essais thérapeutiques. Selon qu’un individu est plus proche de la conversion ou plus éloigné, cela permettra de créer des groupes plus précis pour tester de futurs thérapeutiques et d’identifier la meilleure fenêtre thérapeutique pour administrer ces traitements-candidats. » conclut Lara Migliaccio, dernière auteure de l’étude

 

Source :

Cognitive inhibition impairments in presymptomatic C9orf72 carriers

Montembeault M, et al. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2020.